Dictionnaire biographique des Français d’Afrique du Nord, par René Mayer, préfacé par Claude Cohen-Tannoudji, prix Nobel de physique

Nous avons réussi à nous procurer un exemplaire de ce précieux dictionnaire qui contient des notices concernant plus de 1.500 personnalités originaires d’Afrique du Nord, de Abbou à Zorbibe, classées par catégories : artistes, diplomates, écrivains, enseignants, entrepreneurs, juristes, magistrats, politiciens, savants, sportifs, etc. Comme dans un inventaire à la Prévert, on y trouve un maréchal, un prix Nobel, 22 ministres, 48 députés, 5 sénateurs, 24 académiciens, 72 énarques, 785 polytechniciens… Nous ne pouvons mieux faire que reproduire in extenso la 4ème de couverture et la préface :

Quatrième de couverture

« Que n’a-t-on dit de ceux qu’on nomme ici, non sans une certaine distance, les Pieds-Noirs ? « Des petits blancs incultes, tout juste bons à faire suer le burnous. Ils peuvent bien soutenir avoir là-bas asséché des marécages, construit un réseau routier digne des anciennes voies romaines, assuré la production et la distribution d’énergie électrique, édifié de grands barrages, rendu irrigables des vallées et des dépressions précédemment désertiques, créé des ports et des aéroports, développé l’économie, trouvé du pétrole et du gaz, peuplé ces lycées du Soleil (Carnot, Bugeaud, Lyautey, Lamoricière, Gouraud, Ardaillon, etc), qui rivalisaient avec les tout meilleurs lycées de France, ils ne suscitent que le scepticisme.

Nos intellectuels engagés vont parfois même jusqu’à les accuser de négationnisme, eux qui ne souhaitent, après tout, que la reconnaissance des réalités qu’ils ont vécues et qui sont à jamais ancrées dans les admirables paysages d’Afrique du Nord.

Décrire non plus seulement ce que les Pieds-Noirs ont fait là-bas, mais ce que, dans tous les secteurs de l’économie et de la culture, ils sont devenus et ont réalisé ici-même, en France métropolitaine, où chacun peut le constater, est une autre manière, peut-être plus probante, de montrer ce qu’ils étaient vraiment. Souvent réfugiés ici avec une simple valise, ils ont depuis, réussi un rétablissement dont eux-mêmes n’ont souvent pas pleinement pris conscience. »

Préface par Claude Cohen-Tannoudji

Voilà plus d’un demi-siècle que j’ai quitté l’Algérie, le pays où je suis né. C’est en effet en octobre 1953 que je quittai Alger pour me rendre à Paris car je venais d’être admis à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. J’avais auparavant suivi toutes mes études secondaires puis mes classes préparatoires au lycée Bugeaud à Alger. La guerre d’Algérie commençait un an plus tard, avec son cortège de souffrances et de violences. Quelques années plus tard encore, mon frère et ma sœur voulant poursuivre leurs études à Paris, mes parents nous rejoignirent. Nos départs s’effectuant bien avant la déclaration d’indépendance, nous pûmes tous partir dans des conditions convenables. Il n’en fut pas de même en 1962, pour plusieurs membres de notre famille et pour plusieurs de nos amis, et le souvenir de cette multitude de drames personnels et de déchirements me remplit toujours d’émotion.

La lecture du livre de René Mayer m’apporte une sorte de réconfort et permet de panser ces plaies. Quel bonheur de reconnaitre des noms de personnes que nous avons connues pendant notre enfance ou notre adolescence et de savoir qu’on peut les retrouver ! Quelle surprise d’apprendre que telle ou telle personnalité célèbre est née en Afrique du Nord ! Quel enthousiasme enfin, mêlé de fierté, devant un bilan de réussites brillantes dans tous les domaines, culturel, scientifique, journalistique, politique, économique !… Comment ne pas voir dans ces réussites une manifestation des traits propres aux hommes et aux femmes originaires de ces pays : une joie de vivre associée à une grande chaleur humaine, une résistance devant l’épreuve et une remarquable capacité à rebondir, une générosité naturelle, une grande ouverture aux autres cultures ? Comment ne pas y voir aussi une preuve de la qualité de l’enseignement qui a été dispensé par la France dans ces pays avant leurs indépendances, l’enseignement de la République ?

En ce qui me concerne, je me souviendrai toujours du dévouement des instituteurs et des professeurs que j’ai eu la chance d’avoir durant ma scolarité à Alger, et de la passion avec laquelle ils se consacraient à leur métier. Ce sont mes professeurs de lettres qui ont éveillé ma sensibilité d’adolescent et mes professeurs de mathématiques et de physique qui m’ont donné envie de m’engager dans la voie que j’ai choisie. Sans eux, mon parcours aurait été tout différent. Je suis sûr que la plupart des personnalités mentionnées dans ce dictionnaire de noms propres pourraient tenir des propos analogues.

Voilà qui donne du rôle joué par la France en Afrique du Nord une image assez différente de celle des stéréotypes habituels, la présentant uniquement comme une puissance coloniale opprimant les populations autochtones. Voilà qui peut aussi donner à nos enfants l’idée que les valeurs fondamentales transmises par un enseignement de qualité jouent ensuite un rôle essentiel pour permettre à chacun d’entre nous de surmonter les épreuves que nous avons à affronter dans l’existence et pour parvenir à l’épanouissement de notre personnalité. »

Mémoires de la colonisation

Ironie du sort, on trouve page 144 la notice de Benjamin  Stora : « Né à Constantine le 2 décembre 1950, dans une famille originaire de Kenchela, capitale des Aurès. Etudes au lycée de Constantine, puis à Janson de Sailly puis à St Germain en Laye où il entre dans le mouvement contestataire de mai 1968 et, sous le pseudonyme de Truffaut, dans l’Organisation Communiste Révolutionnaire (OCI- trotzkiste-lambertiste) qu’il qualifie, dans La dernière génération d’octobre (Stock, 2003) de petite aristocratie politique excitante. Il en sera l’un des principaux dirigeants jusqu’en 1982, moment où il rejoint la gauche du PS et entre à l’Université de Nanterre… »

C’est le même Stora qui vient de sortir, à la demande d’Emmanuel Macron, un rapport, sur lequel nous reviendrons ultérieurement, Mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie, censé contribuer à la réconciliation des mémoires, à la suite duquel les Algériens ont entrepris une campagne visant à obtenir des excuses et des milliards d’indemnisation pour le « crime contre l’humanité » qu’aurait constituée la colonisation…

René Mayer

Né en 1925 à Tunis et mort en 2015, René Mayer rejoint la 1ère armée en 1944 et est reçu major de sa promotion spéciale de l’X en 1947. Il commence sa carrière comme Ingénieur des Ponts et Chaussées à Constantine (1952-57) où il est chargé des routes et aéroports, de l’hydraulique urbaine et agricole. Il y accomplit de belles réalisations, notamment le sauvetage du viaduc de Sidi Rached sur le Rhummel. Après une mission de 2 ans auprès du gouvernement grec, pour les Nations Unies, il est nommé directeur adjoint de l’aménagement foncier et de l’urbanisme au Ministère de la Construction (1964-67), puis directeur régional de l’équipement de la région PACA (1967-74). Il est en même temps administrateur de l’Université Aix-Marseille II et de l’École des ingénieurs de Marseille puis conseiller municipal d’Aix-en-Provence (1976-77). Il a été ensuite Directeur général de l’IGN, du CSTB et de Boussac Saint Frères. Il était Commandeur de la Légion d’honneur. Outre de nombreux livres et articles techniques, il a raconté son histoire familiale dans Algérie : mémoire déracinée (l’Harmattan, 1999).

Jean Chapon (X 48) a écrit une notice nécrologique détaillée dans la Jaune et la Rouge d’avril 2016 : René Mayer, grande figure des Ponts et Chaussées.

Claude Cohen-Tannoudji

Claude Cohen-Tannoudji est né en 1933 à Constantine. Sa famille, originaire de Tanger, s’était installée en Tunisie puis en Algérie au XVIème siècle, après avoir fui l’Inquisition. Après l’École normale supérieure (Ulm, 1953), il passe l’agrégation de sciences physiques en 1957 et travaille au Laboratoire Kastler Brossel de l’École normale supérieure. En 1973, il est nommé professeur titulaire de la chaire de physique atomique et moléculaire au Collège de France où il enseigne pendant 30 ans. Il a été élu à l’Académie des Sciences en 1982, a reçu la Médaille d’or du CNRS en 1996 et le Prix Nobel de physique en 1997 pour le développement de méthodes servant à refroidir et à confiner des atomes à l’aide de la lumière laser. Claude Cohen-Tannoudji est membre du comité de parrainage du Mussef.

Son neveu Denis Cohen-Tannoudji raconte l’histoire de sa famille dans Les enfants d’Ishmael (notre lettre du 6 février). Pour la petite histoire, j’étais reçu à l’ENS la même année que Claude mais j’ai choisi l’X…

© René Mayer, 2005, 347 p.

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1 Comment

L’interview de Denis Cohen-Tannoudji – AMUSSEF · 11 avril 2021 at 13 h 42 min

[…] prix Nobel de physique, né en 1933 à Constantine, membre du comité de parrainage du Mussef (notre lettre du 18 mars). Il a écrit Les enfants d’Yishmael (notre lettre du 6 […]

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